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Deuil et Home organising
Quel est le rapport ?

Des objets qui parlent de nos deuils

Un simple peigne, il traîne juste là, depuis des mois, sur le bord du lavabo, compliquant l’accès au savon. L’objet est plutôt banal, noir, en plastique, sans intérêt à première vue. « Que fait-on de “lui”? » J’interroge Christiane, dans le cadre de mes services en tant que home organiser. Celle-ci va prendre le temps de me raconter avant de se décider, « ce peigne », ce n’est pas n’importe quel peigne, il était à son mari. Celui-ci est décédé il y a encore peu de temps. Nous ressentons tous assez fréquemment combien certains objets comptent ou pèsent même parfois assez lourd sur nos cœurs. Ils sont comme les supports de nos souvenirs et nos rapports avec eux parlent de notre état intérieur. Ainsi ce peigne rappelle à Christiane tous ces petits matins passés avec son mari dans la salle de bains. Lorsque Christiane s’y tenait, il venait la déranger quelques instants pour se coiffer. Une fois fait, systématiquement, il déposait son peigne là, sur le bord du lavabo. Ce geste agaçait tous les jours Christiane. Aujourd’hui, ce geste lui manque. La présence immuable du peigne est comme un rappel, celui d’une connivence entre Christiane et son mari durant leur vie, une manière d’être ensemble même sans se parler, le souvenir d’un moment de vie intime et rassurant. Ainsi, certains objets du quotidien ont parfois une valeur inestimable. Ils nous racontent sans même que nous en ayons conscience. Vouloir les conserver, même si nous n’en avons plus l’usage matériel, est une manière inconsciente de lutter contre le temps qui passe et de refuser ce qu’il emporte de nous. Décider de s’en défaire, c’est aussi avoir épuisé le pouvoir d’évocation de certains de ces objets et s’en libérer d’une certaine façon, pour continuer à vivre chez soi, sans nostalgie ou mélancolie. Comme le dit le dicton : « Faire du tri chez soi, c’est faire du tri en soi. » Mais il n’y a pas de règle et c’est bien à chacun qu’il appartient toujours la décision du destin de ces objets investis affectivement.

Mon cheminement personnel et professionnel

J’ai fondé ma société il y a deux ans, «Todobéné » et suis devenue home organiser. Il s’agit d’un nouveau métier qui se développe de plus en plus en France, provenant du Canada, largement popularisé par les ouvrages de Marie Kondo, auteure japonaise dont l’ouvrage La magie du rangement a été publié en 2010. Cette personnalité médiatique, consultante en développement personnel, questionne nos comportements et l’importance des objets dans nos existences. Ses écrits révèlent combien il peut être important de réinterroger le sens de nos vies et de nos sociétés de surconsommation d’objets matériels et de gaspillage. Mon travail consiste à aider des personnes à désencombrer, trier, ranger, recycler leurs objets, pour réorganiser leur monde intérieur. Mais ma façon de travailler est aussi très inspirée de mon ancienne profession d’infirmière. Je considère continuer, aujourd’hui comme hier, à prendre soin de personnes qui traversent une nouvelle étape de vie. La question du processus de deuil et de son accompagnement me paraît être au cœur de mon métier. J’avais déjà été frappée, durant les sept années en tant qu’infirmière à domicile auprès de personnes âgées, de constater l’encombrement, l’envahissement de certains appartements. Objets et affaires en tout genre, ils gênaient souvent les soins quotidiens. Impossible parfois de trouver un peu d’espace sur un coin de table ou même une chaise libre pour y déposer un sac ou du matériel médical. D’année en année, certaines personnes âgées avaient accumulé des strates d’objets auxquels même la famille avait renoncé à toucher. Certaines pièces se retrouvaient parfois condamnées, des garages inutilisables sans parler de certains déplacements d’une pièce à l’autre, rendus dangereux pour la personne âgée elle-même. Certains domiciles où je me rendais, témoignaient soit d’une vie « harmonieuse » entre le patient et ses objets, soit d’une vie totalement « figée » où la personne âgée me donnait l’impression de s’isoler, enfermée chez elle au milieu de souvenirs.

«Avec peu, on peut vivre le présent à l'infini»

Quand Christiane me contacte, c’est pour avoir l’aide d’un regard extérieur, non impliqué émotionnellement dans le lien affectif avec certains objets. Des mois se sont écoulés depuis le décès de son conjoint et elle sent, entre colère et tristesse, qu’il lui faut réaménager son espace de vie mais que seule, elle n’y parviendra pas. Je suis venue une première fois faire ce que l’on nomme une visite diagnostic de son appartement, une façon de tenter déjà de comprendre où Christiane en est dans son histoire. Nous avons alors beaucoup parlé et ensemble, nous avons élaboré un véritable plan d’action pour planifier, structurer le tri de ses affaires. Marie Kondo insiste sur l’idée «qu’être entouré de choses source de joie, nous rend heureux» et c’est essentiellement avec ce critère de choix que j’ai accompagné Christiane dans ses décisions de garder ou de se défaire de certaines affaires. Face à certains objets non plus se dire: « En ai-je encore besoin ? » «Pourrait-il me servir au cas où ? » «On verra bien plus tard » «C’était à lui, ai-je le droit de le donner? » mais plutôt prendre le temps de se souvenir des moments heureux que l’on aime retrouver à travers certains objets emblématiques qui rappellent à eux seuls, sans besoin d’en posséder davantage, une infinité d’autres moments forts de la vie. Finalement, n’est-il pas plus important de pouvoir retrouver en soi des souvenirs, de pouvoir les raconter à quelqu’un qui vous écoute et vous encourage à poursuivre la vie autrement, plus légère, plus sereine souvent, sans figer, idéaliser le passé? Les objets cessent alors de parler et c’est bien plutôt la personne endeuillée qui reprend la parole et qui, à travers le récit, fait tout un travail de mémoire et de transmission. Je terminerai sur l’exemple de la boîte à souvenirs, ou du simple carton que l’on conserve quelque part, chez soi, au grenier, en bas d’un placard, à la cave. La boîte ou le carton conservé, année après année, souvent oublié mais dont on connaît l’existence quelque part, a une fonction essentielle. Il permet de garder, sans encombrer, et de retrouver, si nécessaire, une trace de notre existence avec ce qui n’est plus mais qui, toujours, nous constitue, comme un point d’ancrage indispensable à toute vie humaine.